catalogue

Quintette pour Piano et cordes “A tale of the world”


opus

307

date de composition

1995

création

1996, festival de Kuhmo, par Jean-François Heisser et le quatuor Sibelius

formation

Piano et quatuor à cordes

éditeur
détails
  • 156 pages
  • durée: 50 mn
  • texte: Baghavad Gîtâ, Proust, Norbert von Hellingrath, Basho, Hölderlin.
écouter un extrait

Dédié à Seppo Kimanen.
Commande du festival de Kuhmo.
Textes chantés et parlés par les musiciens.
Présentation OG:
Dès que ce Quintette m’a été demandé, j’ai eu l’intuition que je ne devais pas lui donner une forme distincte, clairement perceptible par l’auditeur, dans laquelle le contenu se déroulerait d’une façon prévisible pour l’oreille, mais plutôt qu’il fallait qu’il s’organise selon un type de forme évolutive, subordonné aux méandres d’un contenu paraissant capricieux de prime abord, mais pourtant sous-tendu par une direction logique et inéluctable. Il m’est apparu que ce Quintette devait s’apparenter à ces œuvres-sommes, œuvres-mondes (d’où son sous-titre “A Tale of the World”), dont la littérature du XXe siècle nous a donné de grands exemples et auxquelles leurs auteurs (Proust, Joyce, Musil, Lowry, entre autres…) ont souvent consacré l’essentiel de leur vie créatrice. Il fallait que ce fût une œuvre qui puisse contenir le monde entier, ou du moins qu’elle en donne l’illusion à celui qui la découvre. Du coup, parce que cette œuvre s’efforce d’être totalité du monde, et par conséquent totalité des moyens pour l’exprimer – qu’ils soient ou non utilisés –, il était attendu que la musique ne serait plus ici totalité de l’œuvre, mais seulement l’un des éléments la parcourant et lui donnant vie. A ce titre, il n’est pas faux d’affirmer que ce Quintette est autant roman que quintette, et même – dans la mesure où le roman offre à l’écrivain une structure narrative à la fois précise et ouverte, lui permettant d’intégrer à son récit tout ce qui semble ne pas s’y rapporter – qu’il l’est davantage. Ceci, je l’espère, explique – et justifie – la présence au sein de la trame instrumentale de textes parlés ou chantés par les interprètes mêmes.
Mais cette possibilité de tout dire n’est pas due à une volonté obsessionnelle de tout raconter, en une surenchère anecdotique qui n’aurait pour effet que d’éparpiller l’attention de l’auditeur. Tout au contraire, elle est animée par le désir de montrer l’unité du monde, telle qu’à chaque instant sa merveilleuse et infinie diversité la proclame. Les éléments apparemment hétérogènes composant ce Quintette ne s’y trouvent que parce que je veux qu’ils induisent en l’auditeur un concept qui m’obsède en tant que créateur et qui marque une grande partie de mon travail : l‘unité – voire la simultanéité – de tous les instants du monde, de tout temps et en tout lieu. Si, dans mon Quintette, une phrase de Proust côtoie un chant du XVe siècle anglais, ou un écrit du poète japonais du XVIIe siècle Basho un texte sacré de l’hindouisme datant d’il y a plusieurs millénaires, c’est parce que tous ces “objets” culturels ou spirituels sont des expressions d’une réalité unique, dont leur illusoire multiplicité, loin de la masquer, souligne encore l’unicité. Je veux amener l’auditeur à cette espèce d’ivresse qui s’empare de moi au moment de créer, ivresse où les situations, les époques et les lieux les plus divers qui soient, les plus opposés en apparence, se superposent, s’imbriquent, tourbillonnent, et finissent par fusionner en un instant projeté dans l’éternité, c’est-à-dire non pas en un instant particulier qui durerait toujours, mais en une vision globale, passée hors-temps et hors-espace.
Se chevauchant ainsi au sein de mon Quintette l’on trouve des extraits (en sanscrit) de la Bhagavad-Gîta, un chant anglais d’origine bourguignonne datant du XVe siècle, quelques phrases prises dans A la recherche du temps perdu de Proust, le témoignage – rapporté en 1852 – par une certaine Madame de S… d’un séjour effectué par Friedrich Hölderlin au début du XIXe siècle dans son château des environs de Paris, des extraits d’un récit de Basho, The Narrow Road to the Deep North, un chant entonné par les moines du monastère de Saint-Macaire en Egypte, et l’évocation – entièrement imaginée par mes soins – d’une nuit dans le désert où ces mêmes moines observent des phénomènes lumineux dans le ciel, l’écho d’une danse populaire entendue dans le film de Bille August Pelle le Conquérant, ou encore une phrase tirée de l’Empédocle d’Hölderlin.
Sur un plan plus strictement musical, ce Quintette est marqué, comme il se doit, par le nombre 5. Il se compose de cinq mouvements enchaînés sans interruption, dont trois, du reste, portent des titres. (Le premier : “De profundis”, le second : “Le cercle des mondes”, le cinquième : “En Soph”, c’est-à-dire “près de Dieu” en hébreu.) L’intervalle de quinte y est omniprésent. Le nombre 5 intervient fréquemment au cours de l’œuvre, que ce soit au niveau du compte des temps ou des mesures ou à celui de la répétition de certaines formules musicales particulières. C’est ainsi que la pièce s’ouvre sur un intervalle de quinte répété 25 fois (5 x 5). Toujours au sujet de l’emploi des nombres dans le processus créatif de ce Quintette, j’aimerais signaler que l’écriture de son cinquième mouvement repose presque entièrement sur une utilisation de la série de Fibonacci.
Comme je l’ai déjà dit plus haut, la forme de cette œuvre est évolutive. Elle se présente comme une arborescence dont les différents thèmes et cellules thématiques qui apparaissent en son sein sont les ramifications, des ramifications se générant et se développant entre elles. Tel un fil rouge parcourant toute l’œuvre et revenant à intervalles réguliers, le chant anglais Alas departynge is ground of woo est le tronc central de cette construction organique. Il est à noter que ce thème effectue lui-même une métamorphose psychologique au cours de l’œuvre, passant de la bravoure péremptoire et agitée de l’exposition à la dissolution contemplative et pourtant subtilement interrogative de la coda. En cela, il subit et guide à la fois la progression de l’œuvre toute entière vers la lumière.
Commande du Festival de Kuhmo et destiné à y être créé en 1994, ce Quintette n’a pu l’être alors en raison de problèmes de santé que j’eus à affronter. En 1995, ce fut au tour de Seppo Kimanen de tomber malade ; la création du Quintette était différée une nouvelle fois. J’avoue qu’il ne me déplaît pas de songer que ces incidents sont inscrits dans le contenu symbolique de l’œuvre et qu’ils sont comme une façon qu’elle a de sortir de son cadre et de devenir la vie même.
Extrait du journal
Je ne répéterai jamais assez combien les textes parlés qui émaillent la partition ne sont pas censés être “récités” avec le commentaire des instruments pour toile de fond sonore – comme dans un mélodrame – mais doivent être dits de façon à former avec les lignes musicales un contrepoint au sein duquel texte et musique sont à parité. L’émotion souhaitée ici doit naître d’une confrontation entre deux paramètres dont l’égale importance accentue la neutralité, et sûrement pas de la sentimentalité que provoquerait la subordination de l’un à l’autre.